Plaidoyer pour une école de la démocratie – Yazid Arifi

Établissement scolaire d’un genre nouveau, l'École démocratique de Paris propose aux enfants un cadre d’apprentissage libéré des programmes, classes d’âge, emplois du temps et évaluations. Aux antipodes de la conception couramment admise de l’éducation, cette école a pour ambition de faire entrer les idéaux démocratique à l’école, au nom d’une conviction indéboulonnable : les enfants sont des personnes à part entière, dotées des mêmes droits et de la même dignité que les adultes.

Peu de gens mesurent la portée réelle de la Révolution française de 1789. Souvent réduite à un épisode scolaire parmi tant d’autres, vague mélange de sang et d’ennui, celle que d’aucuns désignent comme la « Grande révolution » a pourtant représenté un bouleversement politique inouï, de ceux qui transforment les sociétés à jamais. Le grand chambardement de 1789 est le point d’orgue d’un processus de plus de quatre siècles ayant permis l’émergence et l’affirmation du concept de modernité politique. Ramené à sa substantifique moelle, ce dernier est porteur d’un message à la simplicité biblique, mais doté d’une puissance transformatrice sans égale : les êtres humains sont radicalement les égaux les uns des autres.  

De cet axiome fondateur découlent deux conclusions extrêmement importantes. La première, c’est que tout individu est fondé à prendre part à la prise de décisions concernant la communauté politique dont il est membre en tant que citoyen : la démocratie et la souveraineté populaire sont nées. La seconde, c’est le caractère inaliénable de la liberté individuelle : aucune autorité ne peut limiter arbitrairement la faculté des individus d’être et devenir ce que bon leur semble pour un motif autre que celui de la préservation de la communauté dans son ensemble.

Ainsi, les principes fondateurs d’une société émancipée, épanouie et prospère ont été dits. Ils ont été écrits, et font maintenant l’objet d’un consensus général. Pourtant, plus de deux siècles après avoir été édictés, l’on ne peut qu’être éberlués par le fossé qui sépare ces idéaux de la réalité concrète de la vie des gens : du berceau au tombeau, nos existences sont entièrement régies par des rapports de subordination, de soumission, d’asservissement et par conséquent, d’indignité.

Et si nous essayions de nous attaquer à cette contradiction flagrante ? Si nous commencions à prendre un peu au sérieux les fondements de la République pour les rendre opérants au quotidien ? Assurément, l’école est le lieu idéal pour soulever de telles questions, elle que Durkheim qualifiait à juste titre de « séminaire de la société ». En effet, c’est dès la plus tendre enfance que nous sommes préparés à la docilité perpétuelle, et conditionnés à considérer la sujétion comme naturelle. Sur les bancs de l’école, l’inégalité statutaire se transforme en horizon indépassable pour le commun des mortels.

C’est à l’aune de ces constats que l’Ecole Démocratique de Paris a été créée. Établissement scolaire d’un genre nouveau, celle-ci propose aux enfants un cadre d’apprentissage libéré des programmes, classes d’âge, emplois du temps et évaluations. Aux antipodes de la conception couramment admise de l’éducation, cette école a pour ambition de faire entrer les idéaux démocratique à l’école, au nom d’une conviction indéboulonnable : les enfants sont des personnes à part entière, dotées des mêmes droits et de la même dignité que les adultes.

C’est donc ainsi qu’en tant qu’êtres naturellement apprenants, les enfants sont considérés comme les seuls responsables de leur parcours d’apprentissage, libres de s’adonner aux activités qu’ils souhaitent sans aucune forme de contrainte ni de coercition. La hiérarchisation des savoirs est abolie, et l’enfant qui s’adonnera à la couture ne sera en aucun cas considéré comme moins intelligent ou moins important que celui qui s’adonne aux mathématiques ou à l’électronique. Chacun a donc toute latitude pour tâtonner, hésiter, découvrir, se raviser…et se passionner !

Le deuxième aspect proprement révolutionnaire de la philosophie éducative de l’Ecole Démocratique de Paris, c’est le chamboulement du processus de prise de décision et la suppression de toute forme de rapport hiérarchique. L’autorité de l’adulte est remplacée par l’horizontalité démocratique : de 3 à 99 ans, enfants et adultes sont tous considérés comme des « membres » ayant un droit égal à la participation aux délibérations concernant la vie collective. Une personne, quel que soit son âge, est dotée d’une voix qu’elle peut exercer au sein du seul organe de décision de l’établissement, le Conseil d’Ecole. Fonctionnant comme un véritable Parlement, celui-ci se réunit toutes les semaines pendant 2 heures au cours desquelles il met à jour le règlement intérieur, élit les responsables en charge de tâches précises (comptabilité, ressources humaines, etc.), débloque des budgets, valide les recrutements… Tout ce qui concerne la communauté dans son ensemble est décidé collégialement, selon les modalités de la démocratie participative : vote à main levée ou à bulletins secrets, majorité absolue pour l’essentiel des décisions, et majorité qualifiée pour les décisions plus cruciales.

Par ailleurs, parce qu’une communauté sans conflits n’existe pas, un outil de gestion des différends et de traitement des transgressions au règlement intérieur a été institué : il s’agit du Conseil de Justice. Doté de deux responsables élus pour 6 semaines, et d’un jury tournant composé de trois membres, le Conseil de Justice est l’institution que tout membre de l’école a le droit (et le devoir !) de saisir dès lors qu’il est victime ou témoin d’une violation des règles en vigueur. Tous les jours, ce Conseil se réunit et permet aux parties concernées de s’exprimer librement et sereinement, afin d’établir la vérité des faits, identifier les éventuelles règles transgressées, et envisager d’éventuelles sanctions dont l’objectif est toujours de rappeler l’importance du respect d’un règlement co-construit, socle du vivre ensemble.

En prenant en main leurs parcours d’apprentissage individuels, en s’impliquant dans la prise de décisions relatives à la vie de la collectivité dont ils font partie, et en disposant d’un outil de gestion démocratique et réparatrice de règlement des différends, des enfants âgés de 3 à 19 ans se forment ainsi au quotidien à devenir des citoyens accomplis, épanouis, autonomes, responsables et pleinement conscients de leurs potentialités.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ; « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; « La Loi est l’expression de la volonté générale »… Ces principes, promulgués dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, sont les conditions intemporelles et fondamentales au bonheur d’une communauté et des individus qui la composent. Il ne leur manque que d’être appliqués à la vie concrète des gens, en leur donnant en enfin la possibilité de s’approprier leurs destins. C’est le défi que l’Ecole Démocratique de Paris s’est engagée à relever : oui à la république des enfants !